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Lycans
5 mai 2010

"... et le fruit de vos entrailles est béni"

profil_tabMine de rien, Tabitha n'était pas fière.
Pour un lycan qui veut passer incognito, certaines choses sont à éviter absolument : l'argent, les griffes qui rayent le parquet, les fringales nocturnes... et les hôpitaux. Oui oui, les hôpitaux. Difficile à concevoir pour un humain, mais quand on cicatrise en quelques heures, les examens et autres changements de pansements deviennent une source d'ennuis assez prolifique. Et la lycane n'avait vraiment pas assez d'expérience dans le domaine médical pour espérer enlever les bandages le temps de s'entailler tout le corps, et les remettre sans que personne n'y voit rien. Vraiment, vraiment pas.

Voilà pourquoi elle se retrouvait dans cette situation débile.


"Situation débile, tu parles. Je peux vous dire que ça tournait surtout à la farce, cette connerie. Au grand-guignol, comme disent ces cons de Français. Nuit après nuit, défaire des kilomètres de bandages stupides, les disposer en cercle autour de mon lit. Retracer à coups de griffes les marques de la veille, en suivant bien les pointillés roses de la cicatrisation. Et enfin prendre la veilleuse sur ma table de nuit et foutre le feu au soi-disant "cercle satanique".
Puis hurler à la mort.

Ça vous surprend si je vous dis que c'était ma partie préférée ?
Bon, entre vous et moi, dire que je ne me suis pas amusée pendant cette partie de l'histoire serait inexact. D'accord, totalement faux. Il fallait être là pour voir ces idiotes débarquer en piaillant, agiter leurs bouts de bois stupides, courir partout pour balancer de l'eau bénite... au lieu, tout connement, d'éteindre d'abord le feu ! Après, il y en avait toujours une pour affirmer que ça sentait le souffre dans la chambre, et généralement quatre ou cinq pour hocher de la cornette en rythme. Désopilant.
Quant à moi, pauvre martyre convulsant dans une mare de sang, hurlant des supplications en anglais, j'étais l'objet de toutes les compassions - ce qui était bien - et de toute les bondieuseries - ce qui l'était déjà nettement moins. Ces pauvres bigotes ne m'ont pas soupçonnée un instant. Pour elles, le démon me faisait guérir chaque jour pour mieux me tourmenter chaque nuit. C'était imparable.

Je dis qu'aucune ne m'a soupçonnée, mais ce n'est pas exact. Il y avait bien sûr cette folle qu'ils appelaient Alexiane. Joli petit brin de fille d'ailleurs, avec ses grands yeux bruns, son joli corps souple et son minois de Française. Mais elle avait un peu trop tendance à voir l'œuvre du Malin partout, et personne ne la croyait plus. Juste au moment où elle commençait à avoir raison, quelle ironie. C'est ce qui s'appelle crier au loup, ahah.

En revanche, la Mère supérieure..."

C'était la Mère supérieure qui avait finalement pris la décision de veiller Tabitha. Armées de leur raison et de leur foi, elle et deux autres sœurs d'un certain âge avaient pris position devant le lit de l'adolescente. Sœur Alexiane, jugée trop impressionnable, avait été écartée.

"Je sais que tu ne dois pas me comprendre, mon enfant, mais nous sommes là. Tu es sous la protection de notre Seigneur, et nous ne laisserons rien de mal t'arriver. Si ce qui t'arrive est bien l'œuvre de Satan, alors tu as ma parole qu'il ne t'atteindra pas ce soir."

Puis, sentant peser sur elle les grands yeux gris de l'inconnue, la Mère supérieure avait doucement refermé la porte de la chambre sur la meute des sœurs angoissées, avant de la verrouiller et de leur intimer d'une voix sèche d'évacuer le couloir si elles ne voulaient pas "recevoir leur poids en pénitences au matin".
Tabitha eut beaucoup de mal à retenir un sourire. Celle-ci lui plaisait bien.

Et elle se donnait tellement de mal pour lui faciliter la vie...

La nuit tombait ; la veillée commença. Une sœur se faufila près du lit de la jeune fille et lui prit la main, un doux sourire éclairant son visage ridé au contact de la peau si chaude. De l'autre côté, une seconde nonne imita son geste. Réprimant de justesse une envie de retirer ses mains, Tabitha détourna le regard vers la Mère supérieure, qui se tenait au pied du lit, ses yeux anciens pleins de lumière et de compassion.
Les sœurs la consultèrent en silence. Puis d'un même mouvement plein de grâce, les trois femmes baissèrent humblement la tête et entamèrent l'Ave Maria.


" Je vous salue, Marie pleine de grâce
  Le Seigneur est avec vous
  Vous êtes bénie entre toutes les femmes
  Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni
  Sainte Marie, Mère de Dieu..."


"Marie pleine de grâce, mon cul.

J'avais déjà entendu ce baratin en français, et en y repensant je crois bien que c'est ça qui m'a mise en rogne. Parce que voyez-vous, la seule personne que j'aie jamais autorisé à dégoiser des bondieuseries devant moi, c'était Chastel. Eh oui, le Massacreur était aussi un fou de Dieu, qu'Il ait sa putain d'âme si seulement il en avait une ! Alors vous pensez, les prières...

Tout ce qui a suivi est un de ces souvenirs que je garde précieusement, pour les consulter en cas de cafard. Le sourire tendre de ces deux idiotes quand je referme à mon tour les doigts sur leurs mains. Puis leur expression qui se fige, la prière qui hésite, alors que je commence tout doucement à serrer, serrer, serrer... Et l'air déboussolé de la Mère supérieure, figée au beau milieu d'un mot par un double hurlement de douleur, par le craquement sec des os.
Ça, c'est ce que j'appelle un bon souvenir.

Puis tout s'est enchainé très vite, comme toujours. Tirer brusquement sur les bras des deux bigotes, écouter le bruit très satisfaisant de leurs crânes qui se fendent l'un contre l'autre. Recevoir en pleine face le jaillissement de sang et de fluides. Et relever les yeux du carnage pour les poser sur cette pauvre vieille tétanisée, toujours plantée au bout de mon lit, le regard plein de toutes ces belles choses que je viens de détruire en elle."

"Et le fruit de vos entrailles est béni. Hein ma Mère ? Le fruit... de vos... ENTRAILLES !"


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Commentaires
T
Tout juste un mois plus tard, j'ai vaguement honte... ^^'<br /> <br /> On s'y remet, la belle !
L
Bonsoir ici.<br /> Alors le prochain chapitre.<br /> Je ne vais plus pouvoir retenir la gosse qui est en moi là.
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