Bordel
"Quand
on apprend ce genre de choses, on a l’impression de se manger un train
en pleine gueule. Du moins, c’est l’effet que ça m’a fait.
Tabitha…
Une pute… Et moi ? Un pauvre connard, pas meilleur que le premier
richard excitable, prêt à lâcher sa grognasse parce qu’une
professionnelle réussit à le faire bander !
La garce… Elle m’avait
bien baisé ! Quand je repensais à tout ce que j’avais fait pour elle… A
tout ce que j’aurais fait pour elle… Je me sentais minable, incapable
de retenir les spasmes de rage qui, à chaque battement de cœur,
menaçaient de me faire exploser les artères…
Putain… Et voilà ce
que le grand Chastel cherchait ! Une pute ! Une vulgaire pute, qui
avait même réussi à lui arracher la moitié du visage. Jamais
l’impression que l’on se soit foutu de ma gueule n’avait été aussi
forte, et j’en vins à me demander ce que je cherchais ici.
L’odeur
était à gerber. Une cacophonie olfactive où se mêlaient les relents
âcres de la sueur, du tabac froid, de l’alcool fort, du foutre rance et
de la pisse jouie par accident, qu’un encens bon marché tentait
vainement de dissimuler. Et puis, surtout, l’odeur à peine moins
crasseuse de la peur des occupants…
Les putains et les dégueulasses
qui les sautaient encore cinq minutes avant mon arrivée et la mise en
pièce du videur se taisaient ou chialaient, maintenant. De nouveaux
relents d’urine inondèrent l’atmosphère. Je laissai tomber le corps
détruit du colosse qui servait de chien de garde au bordel. Tout
s’embrouillait, je n’avais plus les idées claires.
« Vous… vous allez nous… ? »
Trois
putains de mots. Trois putains de mots hachés entre deux sanglots
grotesques par un cadavre en sursis. Et il n’avait même pas les
couilles de terminer sa dernière phrase !
« OUI ! »
Peut-être
que s’il avait fermé sa gueule, je me serais barré sans faire
d’histoire. Comme je disais, j’étais ailleurs, complètement à l’ouest.
Mais ces trois petits mots ont eu sur mois l’effet d’une goutte de sang
sur un grand requin blanc. Je n’ai jamais été très bon pour compter,
mais il devait bien y avoir une vingtaine de personnes dans ce lupanar.
Après que j’en aie repeint les murs aux tripes, il n’en restait plus
que deux…
La vieille mère maquerelle et votre serviteur. Parce qu’elle et moi, on avait un putain de sacré compte à régler !
Le
fard sur ses yeux, ravagé par des larmes qu’elle ne pouvait plus
arrêter, m’évoquait deux affreux mille-pattes cherchant se planquer à
l’ombre de ses multiples mentons. Cette vieille salope boursouflée
avait fait de Tabitha une pute… En un sens, c’est à elle que je devais
de m’être fait baiser. Il fallait qu’elle paye, qu’elle sache ce que ça
fait de souffrir comme je souffrais !
« FÉLICITATIONS, T’ES PAS ENCORE MORTE… MAIS TE RÉJOUIS PAS TROP VITE, VIEILLE PEAU ! ÇA NE FAIT QUE COMMENCER… »
J’ôtai
alors ma chemise, couverte de sang entre autres, et avec une douceur
infinie, je me penchai à son oreille pour lui chuchoter :
« Je vais te baiser… Te baiser jusqu’à ce que t’en crèves… »
Dire
que je ne trouvai aucun plaisir à souiller le corps de cette vieille
garce serait faux. Malgré son apparence hideuse, pas vraiment mon genre
au demeurant, ma jouissance était décuplée par ses cris d’horreur et de
souffrance. Je la sentais s’ouvrir sous moi, se déchirer comme un sac
trop plein qui s’éventre. Je m’enfonçai en elle chaque fois plus fort,
serrant sa gorge à lui en broyer les os, mais pas suffisamment pour que
cela lui soit fatal. Pas immédiatement du moins… Plus le temps passait,
et moins la vieille peau semblait avoir appartenu à l’espèce humaine.
Je la maintenais par les cheveux afin qu’elle n’en perde pas une
miette, avide de l’entendre hurler, à moitié étouffée par le sang qui
affluait de sa gorge martyre…
Ça a duré des heures avant
qu’elle n’en crève, amas obèse, disloqué, écartelé, saigné, désossé. Je
contemplai mon œuvre, repensant au calvaire qu’avait été pour Tabitha
notre première nuit d’amour… L’état de la maquerelle formait un tableau
aux étranges résonances. Ce corps déglingué, aux orbites caves, aux os
brisés… Ces souvenirs qui il y a peu m’horrifiaient me firent l’effet
d’une bière bien fraîche après une vie à brûler en Enfer.
Enfin, je crachai sur l’infâme tas de chair, avant d’enfiler mon froc…
Il était plus que temps de passer aux choses sérieuses.
Cette
nuit, finalement, avait été distrayante. Mais aussi amusante qu’elle
fût, elle n’était rien comparée à la prochaine que je passerai en
compagnie de ma chienne d’amante.
Je savais maintenant où
chercher. Avant de crever, le tas de lard qu’était la maquerelle
m’avait vomi le nom d’un bled paumé près des côtes. Un village de
cabanes pourries par la mer… Le village où Tab serait née, et où,
peut-être, elle aurait encore de la famille…"